(c) Miliana Bidault
Au cœur de cette année passée dans la torpeur du Covid, j’ai dirigé un atelier laboratoire à l’ESCA sur Nouveaux Anciens de Kate Tempest (à l’époque iel ne s’appelait pas encore Kae), et nous avons inventé un récit collectif où chacun est tour à tour narrateur, protagoniste, guitariste, percussionniste, trompettiste, musicien électro, où il a son en live, parler-chanter, slam, blues, rap, jazz, musique électronique… C’est un travail d’interprètes aimant la musique, la composition musicale est collective, l’interprète doit arriver avec des idées de jeu mais aussi de musiques en répétition.
Cet atelier devient un désir de spectacle.
NOUVEAUX ANCIENS est une œuvre fédératrice, humaine, brute : ce poème épique, à la façon d’Homère, a reçu le prestigieux prix poétique Ted Hugues en 2012 : récit racontant les hommes d’aujourd’hui sur le mode mythologique, comme si nous étions des dieux, comme si les dieux nous ressemblaient ainsi que du temps de l’olympe, récit légendaire et lucide, humain et ludique, profondément connecté au monde d’aujourd’hui.
« Nous sommes encore mythique,
égarés entre l’héroïque et le pathétique »
est-il écrit dès le début du poème, dont voici une partie de l’histoire : Kevin, Dieu de l’abnégation, aime sa femme Jane, mais Jane s’ennuie avec Kevin, alors qu’elle sent son corps être comme une forêt sous la pluie dès qu’elle voit Brian, Don Juan moderne marié à Mary, nouvelle Médée.
De ces deux couples naissent deux enfants, nés sous une mauvaise étoile : Clive et Tommy, dont nous suivons les aventures. Clive s’allie à Spider ; leur maxime : « Les autres on les emmerde ! ». Tommy, artiste débutant, tombe amoureux de Gloria ; l’amour semble être un sauveur mais son âme est rongée d’inquiétude : « Quand serai-je célèbre ? » se demande-t-il…
Ce récit poétique est simple et profond, légendaire et incroyablement contemporain. Kae Tempest joue à nous faire regarder chacun comme une divinité, cela fait du bien. Dans ce poème épique, la langue sonne, même traduite, elle est rythmée, les mots sonnent, c’est imagé, il y a des rebondissements, les images sont percutantes, ça avance sans cesse, on est emporté dans un mouvement, nous avons cherché à l’ouvrir par le travail sur la langue, mais aussi par l’environnement musical, rythmique. Chaque interprète est tantôt personnage, narrateur, musicien. Fluidité et variété du récit collectif.
En ces temps apocalyptiques minés par la pandémie, nous avons rêvé un spectacle « atomique », capable de résister à toute catastrophe, imaginé pour pouvoir être joué en toute situation, salle ou parking, en plein jour ou en plein feux.
Notre travail nous a fait découvrir
que l’espace était un rond
que le rond du récit collectif
que les interprètes et les instruments formaient le rond au centre du rond, la piste
que le récit collectif passait avec fluidité par divers modes : narration, parler de son personnage, être le personnage…
que l’espace était à la fois celui du concert et celui du théâtre, que la parole et le son étaient unis
que les spectateurs étaient autour de ce rond
pas de frontalité, le même espace pour interprètes et spectateurs
pas d’effet lumière, pas d’illusion visuelle
mais la parole, la langue,
ET l’univers sonore
son live
Nous repartirons de cela.
Bruno Boulzaguet